12-13 - « Les représentations scéniques des musiques du monde »
15 fevrier 2013 - parismix - paris
En présence de :
Angélique IONATOS, artiste musicienne
Christophe HAUSER, ingénieur du son ;
Sam MARY, ingénieur lumière ;
Marie-José JUSTAMOND, directrice du festival Les Suds à Arles ;
Caroline BOURGINE, productrice radio, conseillère de l’année desOutre-Mer ;
Frank TENAILLE, journaliste et vice-président de Zone Franche.
La table ronde est animée par Fabienne BIDOU, directrice de Zone Franche.
[Le début de la table ronde n’est pas enregistré.]
Sam MARY
Pour retrouver de la dynamique, j’ai tendance à m’orienter vers le noir. Ainsi, si l’on souhaite donner l’impression d’un plein feu très puissant et que l’on ne dispose que de cinq projecteurs, on n’a pas d’autre solution que de les orienter pendant un long moment vers le bas puis de les remonter. J’aime disposer d’outils puissants, mais il est aussi très intéressant de travailler avec une économie de moyens et de chercher à tirer le meilleur d’une matière pauvre.
Nous vivons dans un contexte d’économies et de moyens à la baisse. A budget égal, il me semble plus important d’investir dans les compétences humaines et de réfléchir au projet que l’on souhaite réaliser, plutôt que de s’en remettre à une profusion de moyens. Certes, c’est prendre le risque de décevoir le public, mais notre travail n’est pas de donner au public ce qu’il veut mais de faire des propositions artistiques. Nous vivons dans une société de surconsommation, où le vide, le silence et l’ennui sont proscrits.Or l’histoire de l’art s’est nourrie de l’ennui, du silence. Pour moi, en tant que spectateur et fabricant de ces matières artistiques, l’intérêt ne réside pas seulement dans le résultat mais aussi dans l’expérience humaine.
Marie-José JUSTAMOND
Le festival Les Suds à Arles a la chance de disposer de divers lieux de représentation, dont les caractéristiques et capacités d’accueil du public sont très diverses. Parmi ces lieux, nous avons un lieu de grande envergure, le théâtre antique d’Arles dont la capacité est de 2 500 places. Notre festival se tient en été et doit faire face à une très forte concurrence. Or si nous ne parvenons pas à remplir au moins à une reprise le théâtre antique pendant la semaine du festival, nous mettons en jeu son existence. Cet impératif nous contraint à faire des concessions, y compris en matière de programmation artistique ou de qualité du son.
Fabienne BIDOU
A qui doit revenir le choix artistique du son ?
Marie-José JUSTAMOND
On considère que la qualité du son est de la responsabilité des organisateurs. Toutefois, nous sommes parfois contraints de faire des compromis et de signer par exemple un contrat stipulant que l’artiste possède la maîtrise totale du son.
Angélique IONATOS
Marie-Claude a décrit un cercle vicieux : pour assurer la pérennité financière du festival, elle doit remplir le théâtre antique et donc accepter les desiderata d’artistes qui menacent de partir si l’on ne se plie pas à leurs exigences. Pour ma part, je vous invite à boycotter ces artistes et à encourager les autres directeurs de festival à faire de même.
Fabienne BIDOU
Il faut aussi savoir faire confiance au public, qui n’est pas dupe de certaines attitudes.
Caroline BOURGINE
Je reviens sur la remarque de Frank Tenaille concernant les techniciens de Radio France. J’ai travaillé avec eux pendant 23 ans, en l’occurrence avec le pôle artistique. Certains n’ont peut-être pas une oreille très formée, mais la plupart font leur métier avec passion et font preuve d’un respect absolu des musiques. J’ai souvent été impressionnée par leur humilité et leur sens de l’écoute lorsqu’ils recevaient des musiciens.
Je m’interroge par ailleurs sur la place que prennent les caméras et les télévisions dans bon nombre de festivals et manifestations culturelles. A titre d’exemple, lors d’un concert d’Antonio Zambujo, un chanteur portugais qui est un orfèvre du son et qui joue éminemment sur les silences, quatre caméras étaient disposées sur la scène de l’Alhambra. Je pense au spectateur qui a payé sa place et qui pendant une heure vingt est face à quatre caméras, dont certaines à vingt centimètres d’un instrument de musique. Pour ma part, j’ai trouvé cette situation totalement insupportable. Un autre problème rencontré lors de ce concert tenait à la lumière, qui était très forte pour faciliter l’enregistrement par les caméras. Au final, je voyais plus la lumière que les artistes !
Sam MARY
J’ai réglé ce problème en refusant de participer aux concerts retransmis par Arte Live Web. J’ai connu trop de problèmes avec les télévisions qui me demandaient de travailler pour eux, de produire un éclairage spécifique pour faciliter l’enregistrement, alors que mon rôle est d’abord et avant tout d’éclairer pour les spectateurs.
Une intervenante
Il appartient aussi à l’artiste et à l’organisateur de demander que les caméras soient les plus discrètes possible et ne perturbent en rien le spectacle offert au public. Certains médias affichent un grand respect pour les artistes et savent effectivement se rendre invisibles. Ce fut le cas lorsque Médiapart a retransmis le spectacle du 13 juin au Théâtre de la Ville.
Frank TENAILLE
Je reviens sur la remarque de Caroline Bourgine. Je parlais bien des équipes du festival Radio France Montpellier, et non de celles de Paris. Ces équipes regardaient les musiques du monde avec un semblant de condescendance et il a fallu les éduquer quelque peu.
S’agissant de la maîtrise des festivals, il est évident qu’il est parfois nécessaire de faire quelques compromis. Cela étant, j’ai pu constater que l’organisateur pouvait être littéralement dépossédé de son festival par un artiste dit majeur qui s’accaparait la scène au détriment des autres artistes programmés.
Une intervenante
Je suis un manager d’artistes en Belgique et je fais partie de ceux qui imposent leur ingénieur du son, tout simplement parce qu’une relation de confiance s’est installée entre lui et l’artiste.
J’observe par ailleurs que les niveaux sonores dans les festivals sont de plus en plus élevés. Personnellement, je n’y amène plus ma fille parce qu’il faudrait alors porter continuellement des bouchons d’oreilles.
Il me semble qu’il faut sensibiliser et former les artistes à la gestion de la lumière. Très souvent, les artistes (en particulier les musiciens) n’accordent aucune importance à l’éclairage de la scène. Je note également que l’arrivée des nouvelles technologies dans ce domaine (LED, etc.) a rendu les éclairages uniformes et sans subtilité. De surcroît, ces éclairages éblouissent le public.
Une intervenante (Magali Bergès)
Concernant les captations, je travaille pour un festival à Essaouira qui accueille entre 350 000 et 400 000 spectateurs et je peux vous assurer qu’il est hors de question qu’un quelconque caméraman monte sur scène. Il n’appartient pas à l’artiste de décider, mais au festival.
Quant au choix entre ingénieur du son de l’artiste ou du festival, la solution est simple à trouver. Il suffit de favoriser la collaboration entre les techniciens : l’ingénieur du son de l’artiste est aux manettes principales et l’ingénieur du son de festival l’aide et le conseille.
Un intervenant
D’un côté on revendique un peu plus de considération pour les lumières et de l’autre, on privilégie l’image à travers la captation par des caméras qui supposent un éclairage puissant. J’y vois une sorte de conflit entre le son et l’image. Pour illustrer ce conflit, je rappellerai une anecdote, celle de Keith Jarrett qui lors d’un concert s’est levé de son piano parce qu’il était gêné par des photographes présents devant la scène. Keith Jarrett a pris le micro et a dit : « Mesdames et Messieurs, je quitte la scène. Vous devriez savoir que la musique n’est pas faite pour être vue mais pour être écoutée. »
Un intervenant
L’éducation est la clé qui permet de résoudre toutes les difficultés mentionnées. Il s’agit d’éduquer les artistes afin qu’ils respectent les manifestations auxquelles ils participent, les organisateurs et le public.
Angélique IONATOS
Le besoin d’éducation que vous mettez en exergue est effectivement fondamental. Il fait écho à la notion de civilisation,« politismos » en grec. Ce mot est très beau car il vient du mot polis(la cité) et exprime le dépassement des relations du besoin pour aller vers la vérité. Je pense que nous nous éloignons de plus en plus de la vérité : de la vérité de l’art, de la vérité de ce que doit être une culture, de la vérité de ce que doivent être les relations entre les citoyens. Nous subissons une forme d’assujettissement, que ce soit aux médias, à la politique ou à l’économie. Très souvent, on me demande le jour du concert d’aller parler devant une classe d’enfants. C’est pour moi un des plus grands privilèges qu’on puisse me donner. Parler aux enfants, leur expliquer ce qu’est la musique, est une expérience rare. Je crois profondément à cette valeur de l’éducation.